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HISTOIRE DE NERIS LES BAINS
18 septembre 2006

LA BICHE DE SAINT PATROCLE

Au fond des bois pleins d'un vaste silence, d'épouvante aussi, dans une gorge abrupte et rocheuse entre Villebret et Néris, Patrocle fixa ses pas après avoir erré de longs jours. Il se construisit une hutte de terre, de pierres sèches et de branchages. Il pensait y couler ses jours, infifférent aux rigueurs des saisons comme à l'infinité des bêtes sauvages, nombreuses aux environs. Celles-ci, d'ailleurs ne lui voulaient aucun mal : les sangliers, les loups même s'arrêtaient dans leur course pour le laisser passer et le saluaient. Une biche blanche, qu'il avait recueillie blessée, soignée et guérie, s'était attachée à lui. Elle ne le quittait pas, quelque chemin qu'il parcourût.

Un jour qu'il se rendait à Néris, où les faux dieux régnaient sur les sources et les thermes, il rencontra deux jeunes filles qui menaient en forêt les troupeaux de leur père. Elles étaient jolies et gracieuses. Bien que surprises de voir cet errant dans la force de l'âge, accoutré d'une peau de bête, appuyé d'une main solide sur un bâton et, de l'autre, caressant la tête d'une biche, elles lui sourirent. Il se fit alors connaître d'elles.

- Je suis Patrocle, leur dit-il, et je viens à vous de la part de Dieu.

L'aînée lui répondit :

- Nous voudrions bien écouter vos paroles, mais nous avons des devoirs à remplir. Tout en gardant les moutons de notre père, ma soeur et moi comptons cueillir les plus belles et les plus odorantes fleurs de la forêt pour les déposer sur l'autel de Nérius qui, jusqu'à ce jour, nous a toujours protégées.

Patrocle répliqua très doucement :

- Ce n'est pas Nérius qui vous protège, mais le Dieu tout-puissant que je sers et veux vous enseigner. Lui seul est grand, lui seul est bon, lui seul est juste.

Il leur expliqua la sagesse et la beauté des saints mystères. Ses paroles étaient empreintes de tant de foi, éclairées de tant de flamme, que les deux soeurs s'en émurent. Cependant, l'aînée lui déclara encore :

- Comment pouvons nous distinguer la vérité de l'erreur ? Nous n'avons jusqu'ici connu que les dieux de nos pères. Quand, par un acte, un signe annonciateur, vous nous aurez prouvé que votre Dieu est plus puissant que les nôtres, nous croirons en lui.

-Avant peu, répondit-il, le signe que vous réclamez se révélera. Un appel vous viendra, vous l'écouterez, vous y obéirez. Vous le suivrez et il vous conduira jusqu'à moi.

Patrocle toucha de sa main le front des deux jeunes filles. Son pouce y traça le signe de la croix et, les ayant bénites, il les laissa aller, pendant qu'il reprenait le chemin de son ermitage.

A peu de temps de là, l'aînée des deux soeurs se tenait assise devant le foyer de la maison de son père. Elle filait de la laine. Une biche blanche franchit le seuil de la pièce où elle se trouvait et vint à elle. La jeune fille reconnut pour l'avoir vue aux côtés de Patrocle, quand elle et sa soeur s'étaient rencontrées avec lui. De son pas léger, la biche s'approcha de la fileuse, posa sa fine tête sur ses genoux, puis s'éloigna vers la porte où elle attendit. La jeune fille ne bougea pas, se contenta de la suivre des yeux. La biche revint vers elle, posa de nouveau sa tête sur ses genoux, puis s'en alla encore du côté de la porte, où elle demeura. C'est seulement à la troisième fois que la fileuse comprit et vit dans la présence de cette biche blanche le signe annonciateur qu'elle avait demandé à Patrocle, dont il lui avait promis la venue prochaine. Elle abandonna sa quenouille et suivit la gracieuse envoyée.

Toutes deux s'enfoncèrent dans la forêt. Les ronces et les branches s'écartaient devant elles pour leur livrer passage. Les animaux sauvages fuyaient pour ne pas les effrayer. Elles arrivèrent au bord d'un torrent. La biche se jeta à l'eau et la traversa. La jeune fille ne savait pas comment faire, car le torrent était profond et rapide. Elle ne voyait aucune pierre où elle put poser ses pas. Tout à coup, la branche d'un saule s'abaissa devant elle. Elle y prit place et fut transportée sur l'autre rive. La biche repartit devant elle et la conduisit à l'ermitage de Patrocle. Le saint l'accueillit d'un front rayonnant. Il lui dit avec de tendres paroles toutes les raisons qu'elle devait avoir de croire à son Dieu. La jeune fille l'écouta avec attention. Elle sentit peu à peu la foi chrétienne se substituer en son âme à ses anciennes croyances. Elle demanda à Patrocle de lui apprendre à prier. Tous deux se mirent à genoux sur le sol et récitèrent de pieuses oraisons.

La jeune regagna cependant la maison de son père. En y arrivant, elle trouva filée toute la poupée de sa quenouille de laine. Plusieurs jours de suite, chaque matin, la biche revint chercher la jeune cathécumène et, par les mêmes voies, la conduisit à l'oratoire de Patrocle.

-Je crois en votre Dieu, lui annonça-t-elle un soir, au moment où elle s'apprêtait à rejoindre la maison de son père.

Patrocle alors la baptisa et lui donna le nom d'Agathe, vierge et martyre sicilienne, morte en l'an 251.

La soeur et le père d'Agathe, ce dernier après une cruelle maladie que Patrocle guérit, se convertirent à leur tour, ainsi qu'un grand nombre d'habitants de leur voisinage. Afin qu'ils puissent y venir prier, le saint fit bâtir une église à côté de laquelle il éfifia un monastère pour y soigner les veillards et les malades. Il en confia la direction à Agathe.

Le bruit des conversions et aussi des miracles accomplis par Patrocle étendit sa renommée très au loin. De toutes parts on accourut ver lui, pour réclamer son appui, son secours. Il ne pouvait plus prier et méditer autant qu'il le désirait. Il résolut de chercher une autre solitude, d'autant plus qu'il sentait son coeur épris d'une si profonde affection pour Agathe qu'il redoutait qu'elle ne devint coupable aux yeux de Dieu.

Il quitta son ermitage par un clair matin de printemps. Les branches des arbres commençaient à se velouter de verdure. Mille oiseaux chantaient en construisant leur nid. Il s'enfonça plus avant dans la forêt, toujours accompagné de sa biche.

"Légendes traditionnelles du Bourbonnais" Louis Aubert - 1946

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